Parler de différences culturelles n'est pas une chose simple. Le piège étant d'en dire trop, ou pas assez.
J'ai choisi de raconter des situations dans lesquelles je me suis trouvée, parfois surprise, parfois interrogative, parfois gênée, pas toujours à mon aise.
Philippe suit la formation de rééducateurs.
Après le stage, réalisé dans son village, il explique à la promotion d'étudiants:
"Comme à chaque stage j'ai pris en rééducation la petite Laura. Au cours de mon passage précédent son papa, sur mes conseils, avait fabriqué avec quelques morceaux de bois des barres parallèles. Il les avait installées devant la maison. L'enfant marchait de mieux en mieux".
Quand je suis arrivé cette fois-ci la maman m'a dit :
"Je ne veux plus que tu viennes faire la rééducation à ma fille. Elle fait de plus en plus de progrès. Ceux qui ont jeté le sort vont le voir. Ils vont jeter un sort plus fort encore et tuer mon enfant..."
Jean-Romuald, également étudiant rééducateur, marchait avec des béquilles et deux grands appareils aux membres inférieurs. Dans son jeune âge il avait contracté la poliomyélite.
Un jour Jean Romuald raconte à ses collègue de classe qu'étant petit son papa faisait des choses complètement stupides.
"Comme je ne pouvais pas me tenir debout, avec mes jambes paralysées par la polio, il creusait un grand trou dans la terre et me mettait dedans.
Je n'avais que la tête et les bras qui sortaient. C'est idiot ce que nous faisons chez nous..."
Nous avons alors abordé le cours sur la "verticalisation" et ses intérêts.
Il était facile de lui démontrer que sont papa, au contraire, avait de très bonnes idées. Nous avons alors cherché avec les autres étudiants d'autres possibilités permettant à quelqu'un qui est paralysé de tenir debout (utiliser un arbre, des planches, des sangles..)
Anita qui refuse sa maman
Dans une structure de rééducation une dame nous signale le cas d’une enfant qui ne savait pas marcher.
Quand nous nous rendons chez cette enfant, Anita était avec sa maman, à l’ombre des palmiers. Elle ne pouvait se tenir ni assise, ni debout et présentait des symptômes d’IMC.
« J’aime ma fille, je veux m’occuper d’elle mais je ne sais pas pourquoi elle me refuse.. »
En observant Anita il nous est apparu qu’elle présentait un schéma moteur d’extension. Tout mouvement rapide, comme l’arrivée de sa mère voulant la prendre dans ses bras, provoquait une extension de la tête, du tronc, des membres inférieurs et des bras en abduction.
La méconnaissance de la pathologie a aboutit chez cette maman à une signification traumatisante pour elle : sa fille la refusait.
Trop compliqué, dans un premier temps, d'expliquer la maladie, la rééducation, l'installation, les manœuvres de décontraction. Il fallait prouver à cette maman que sa fille ne la refusait pas et qu’elle l’aimait aussi.
Nous avons mis l’enfant dans des situations qui provoquaient les mouvements d’extension alors qu’Anita ne voyait pas sa maman.
L'encre rouge
Mésaventure dont je garde un très mauvais souvenir…
En RCA j’ai du faire des démarches auprès du directeur de l’organisme gérant l’électricité dans le pays.
Sachant que j’allais attendre, j’ai apporté des copies à corriger.
Le directeur n’était pas disponible ; j’attends dans un bureau avec six personnes travaillant derrière leur ordinateur.
Pendant que je corrigeais les copies la secrétaire, me tendant une feuille, me demande d’inscrire l’objet de ma venue. Lorsque je lui rends la feuille, sur un ton élevé, vif et scandalisé :
« Ho! Vous avez écris en rouge ! »
Les ordinateurs se sont tus et les tous les regards se sont tournés vers moi. J’étais mal, ne comprenant rien et bredouillant le fait que je corrigeais des devoirs…
Elle me tendit, sans explication, un stylo à encre bleu.
Retraversant le bureau, après le rendez-vous, la dame me dit :
« Ne vous inquiétez pas, vous ne pouvez pas savoir »
Ce n’est que plusieurs jours après que j’ai pu savoir de Sœur Anne (étudiante rééducatrice) :
"Ecrire en rouge à quelqu’un signifie que l’on souhaite sa mort…"
Le cactus rééducateur
Lors d’une promenade en forêt équatoriale je croise deux hommes dont l’un tenait un cactus. Nous dialoguons un peu. Le cactus n’avait pas de racine, il ne pouvait donc pas être replanté. Lui demandant ce qu’ils allaient en faire l’un d'eux dit :
« Ma petite fille reste toujours assise. Ses jambes ne marchent pas.
Mais elles ne sont pas complètement mortes, car j’ai vu que si je pique ses genoux les jambes bougent… avec les pointes de cette plante petit à petit la force va venir et elle pourra tenir debout… »
C’était une rencontre de quelques minutes… toujours présente dans mes souvenirs.
Polio et sorcellerie
Au début de mon séjour en Afrique je pensais que la "connaissance" permet de comprendre les choses, comme le fonctionnement du corps humain.
Cette connaissance devrait donc diminuer les croyances de sorcellerie...
Je fais la connaissance d’Aminata, infirmière centrafricaine. Son enfant a été atteint par le virus de la poliomyélite.
Aminata est cultivée, elle a fait des études d’infirmière et travaille dans un hôpital de la capitale où les techniques de soins sont proches des méthodes européennes.
« Oui, je connais la cause de la maladie de mon fils, c'est le virus de la polio.
* Je sais qu’il a probablement attrapé ce virus quand il va jouer dans la rivière du village où il y a eu une épidémie.
* Je sais que les grosses pluies ont entraîné le virus depuis les latrines jusqu'à la rivière dont mon enfant a bu l’eau.
Mais alors explique-moi pourquoi le copain de mon fils qui joue toujours avec lui dans la rivière n’a pas attrapé le virus ? Tu vois bien que quelqu'un a jeté un sort sur mon fils ou sur moi ou sur ma famille".
Sabine Blanc